Un silence total avant le XIIIe siècle, apparemment. Quelques écrits antérieurs se disent être écrits par des femmes, mais peut-on le croire ? Nous n'en avons aucun moyens. Georges Duby pense même que ce sont plutôt des écrits de la main des hommes, falsifiant une parole par ailleurs impossible.
Impossible car une voix de femmes avant le XIIIe siècle se déforme dans le moule de la rhétorique viriliste. Comment retrouver une parole de femme au Moyen-Age ? La majorité des paroles prétendumment féminines sont des copies de grandes phrases bien tournées d'auteurs antiques, ce qui, on le comprend aisément, n'a rien d'émancipateur. Il y a un moyen. Il y a les dépositions, les témoignages, les aveux, enregistrés par les scribes.
Prenons l'interrogatoire de Béatrice, entre le 13 et le 25 août 1320, conservés dans l'un des plus riches manuscrits du genre, transcrit en 1326 par le futur pape Benoît XII. Béatrice de Planissoles, de son nom de jeune fille, est noble, épouse de chevalier. On y constate que, contrairement à une idée répandue, encore d'actualité, une femme de bonne lignée n'est pas plus épargnée de la violence masculine qu'une paysanne. Elle nous dit : « Du vivant de mon mari, le 10 août, un jour Raymond Clergue, dit Pathau, fils naturel de Guillaume Clergue, maintenant curé de Montaillou, me força dans le château et me connut charnellement. ». Alors, quand vint Carême, Béatrice se sentant coupable et responsable de ce qui est de toute évidence un viol, va se confier à l'église de Montaillou. Le curé lui fait des avances, elle refuse, l'embrasse (de force). Elle ne peut se confesser. Il insiste jusqu'au temps de Pâques. « Un jour qu'il me sollicitait ainsi chez moi, je lui dis que j'aimerai mieux être connue par quatre hommes que par un seul prêtre, car j'avais entendu dire qu'une femme qui avait été connue charnellement par un prêtre ne pouvait voir la face de Dieu ». Elle lui dit donc non. Il lui rétorque que c'est un plus grand péché pour la femme que de coucher avec son mari, ou même un amant plutôt qu'un prêtre, car elle pense alors ne pas commettre de péchés, ce qui en est un gros. Le curé parvient à ses fins, il vient deux ou trois fois par semaine, ne tenant jamais compte des périodes d'abstinence, de fêtes religieuses.
Béatrice abjura l'hérésie, fut absoute, comparut le 3 mars 1321 devant l'inquisiteur. Le 8 mars, ironie des dates, elle est condamnée au mur, autrement dit, la prison à perpétuité. 4 juillet, 1322 elle bénéficie d'une commutation de peine, elle est libérée. Mais toute sa vie elle porta sur ses vêtements les croix jaunes, incitant à se méfier, à ne pas s'approcher, de son corps souillé. Aucun des hommes qui ne lui imposèrent cette souillure ne furent inquiétés. Mais nous avons gardé les traces de sa parole, les marques de son injustice.
Sa mémoire est là.
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