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La femme dans les lois barbares du VIème siècle

Rares sont les codes de lois barbares où il y a indice simple de datation (par exemple pour les Lombards et les Anglo-Saxons). La datation traditionnelle de ces lois repose sur une mention évasive dans le prologue ou l'épilogue d'une compilation tardive. Aussi, bien que la loi Gombette soit estimée rédigée vers 502, la loi salique au début du Vie siècle, et la loi d'Ethelbert du Kent vers 597, ces informations ne sont pas affirmatives. Les spécialistes considèrent par exemple que loi salique ne peut être rédigée dans les dernières années du règne de Clovis car son application jugée trop modeste, presque seulement réduite à une exploitation agricole, ce qui ne serait pas logique car un royaume grand et organisé comme le royaume franc après 507 aurait eu des lois à ce moment là plus ambitieuses (problème historiographique : un texte littéraire y compris législatif peut se cantonner à un secteur social bien précis et un groupe de paysans modestes peuvent connaître expansion territoriale). Néanmoins, ces lois barbares sont l'oeuvre d'un groupe de juristes anonymes (pas le fait d'un prince seul et relativement éclairé). Les lois barbares sont des compilations (différents éléments pas toujours homogénéisés, adaptés à la société de celui qui les rassemble), ce qui nous pose un autre problème : dans quelle mesure le compilateur a-t-il fait œuvre originale, ou a-t-il respecté au contraire la version originelle des éléments qu'il rassemblait ?


L'historiographie récente fait qu'on situe les textes, très justement, mais dans des fourchettes de siècles, donc cette justesse de la datation reste un flou. Ce que l'historiographie appelle « lois barbares », c'est un ensemble législatif des barbares récemment installés en Europe, plus ou moins inspirés du modèle impérial romain, entre le Ve et la fin du Xie siècle.


Nous utiliserons trois sources :

La loi Gombette (vers 502)

Aussi appelée Loi Burgonde, puisque promulguée à l'initiative du roi Gondebaud (474-516), on l'appelle au Haut Moyen-Age lex Gondebada (« loi gombette ») et cela reste la nomination choisie ici. Loi qui réunit les constitutions des premiers rois burgonds dont celles de Gondebaud lui-même. On ne connaît pas la date exacte du texte primitif, mais cette version initiale a été renouvelée en 501 et 502, puis en 517 par Sigismond, fils et successeur de Gondebaud. Au final, elle comporte 108 titre, et ici nous en aborderons 2 (les titres 34 et 35). Les dispositions sont d'origine germaniques (par exemple le serment purgatoire, le duel juridique) couplées d'emprunts au droit romain (par exemple, répudier sa femme ; sauf pour ce qui est de Constantin, seul empereur sous lequel on ne pouvait répudier sa femme).

La loi Salique (début du VI e siècle),  qui est un code de procédures judiciaires ou codes de lois des Francs Saliens.

La loi d'Ethelbert du Kent (vers 597), code de lois d'Ethelbert, roi du Kent de 560 à 616.


Nos références sont :

– éd. L. R. von Salis, Hanovre, 1892 (MGH Legas nationuum Germanicarum 2, 1), p. 68 et 95. Traduction J.-P. Leguay, Les Burgondes et la Sapaudia, L'histoire en Savoie, n° hors série, 1988, p.26.

Pactus legis Salicae, éd. K. A. Eckhardt, Berlin, 1962 ( MGH. Leges nationuum Germanicarum, 4, 1 ) p. 222-3 et p. 235.

– D. Whitelock, English historical documents500-1042, Londres, 1957, p. 357-359 ; trad. P. Riché, G. Tate, Textes et documents d'histoire du Moyen Age, Ve-Xe siècles, Paris, 1972, p.181-183.

Soit deux lois du début du VIe et une autre de la fin du siècle. Ce sont des documents normatifs, permettent par leurs prescriptions de penser l'organisation sociale du VIe.


L'époque des royaumes barbares connaît une explosion de droits nouveaux, apportés par les nations germaniques sur le territoire de l'ancien empire romain. Le droit romain simplifié continue d'être appliqué en Italie, en Espagne, en France au sud de la Loire, mais les coutumes germaniques prévalent partout ailleurs. Au principe juridique romain de la territorialité les barbares substituent le principe de la personnalité : tout individu vit sous l'autorité du père ou du mari, dans le cas de la femme mariée.

Ils ne s'accordent pas forcément tous sur la question des droits des femmes, ce sont des sources juridiques très diverses, qui peuvent aborder des sujets différents, mais qui ont pour point commun de placer au cœur de leur organisation le mariage et sa régulation, donc le contrôle des femmes et de leurs corps.

Architecture de l'ensemble de nos extraits concernent le divorce, voire la répudiation, puis la violence envers les femmes, l'adultère, dans la loi salique on trouve la question de l'héritage et le meurtre de la femme enceinte, et dans la loi d'Ethelbert du Kent, un tableau d'amendes à payer en fonction de la personne concernée par ces intéractions sociales réprimandées.

Malgré les différences de ces situations juridiques, toutes parlent des femmes, de leurs statuts de femmes, de leurs éventuels droits ou de leurs devoirs. Ces femmes-types sont mises en intéraction avec des individus relevant d'autres groupes sociaux, comme les esclaves. Alors, comment les lois barbares peuvent-elles hiérarchiser les catégories sociales de genre en faisant de la femme, et avant tout de son corps un outil de reproduction sociale et économique ?


I – Continuité entre l'Antiquité et le Haut Moyen Age


L'origine des lois barbares et la complémentarité des lois entre elles


Il y a une apparente absence de toute loi écrite chez les Germains avant ce corpus de « lois barbares » donc nous pouvons seulement émettre l'hypothèse d'un droit structuré chez les Germains avant les lois barbares, mais de tradition orale. Cette hypothèse expliquerait le décalage entre droit romain classique, code Justinien, et les lois barbares. Sauf que nous savons aussi que les étapes théodosiennes et justiniennes (soit les plus connues) influencent assez peu les textes législatifs de l'Europe post-romaine. Ce qui a de l'influence, en revanche, c'est le droit romain vulgaire (identifié par Ludwig Mitteis et Ernst Levy au tournant du XXe siècle) fréquemment utilisé au Haut Moyen Age. Dans le colloque Leges – Gentes – Regnaen Bavière en 2004, Gerhard Dilcher présente dans sa conférence introductive que les Germains, installés dans l'empire romain depuis la fin de l'Antiquité, apporteraient une forte contribution originale au droit occidental. La législation serait plus représentative de ces sociétés qu'elles ne sont pas dictées par un prince, mais adoptée par groupe d'experts juridiques (représentation proche de la fidèlité aux aspirations des Germains).

De plus, on constate également grâce à David Herlihy qu'au Haut Moyen Age, les âges des conjoints se rapprochent, au détriment de la tradition romaine antique, et à l'image des coutumes germaniques décrites par Tacite dans son ouvrage Germanie. Les règles de l'héritage favorisaient déjà les hommes au détriment des femmes (avant les lois barbares donc).


Complémentarité des lois entre elles


La loi romano-burgonde ne rentre pas en conflit avec la loi Gombette sur de nombreux thèmes, elle envisage au contraire des figures de cas que la loi Gombette n'avait pas pris en compte. Alors, pourquoi plusieurs lois, outre le fait qu'elles concernent plusieurs territoires et entités politiques ? Pourquoi les penser ensemble comme un même corpus ? Ces lois sont-elles différentes selon l'identité des justiciables ? Burgondes, autres barbares, Juifs, Gallo-Romains chrétiens, tous et toutes concerné.e.s par une seule et même loi ? Ces lois ne se basent pas sur unebase ethnique. Par exemple une famille juive précédemment soumise au droit romain, se voit installée dans la même catégorie qu'une Burgonde récemment installé dans l'Empire. La liste de ces groupes est la même que celle des populations qui ne sont pas soumises au droit ecclésiastique : les systèmes juridiques se complètent : les lois alti-médiévales coexistent entre elles.


La famille comme structure sociale et juridique de base par le mariage


Les époux qui ont été unis par le mariage (donc de manière légitime) ne peuvent pas se séparer sans conséquences : une femme qui abandonne son mari doit trouver la mort (article 1) et un homme qui abandonne sa femme doit rembourser le mariage, une sorte d'amende. « Article 1 : Si une femme a abandonné son mari auquel elle a été légitimement unie, qu'elle trouve la mort dans un bourbier » donc la femme est condamnée à périr étouffée dans la boue. « Si un homme a répudié sa femme, sans cause légitime, il deva lui payer une somme égale à ce qu'il avait donné pour le prix du mariage et devra payer, en outre, une amende de 12 sous d'or ». 

Une femme ne peut ni renier un homme (c'est pour ça que la loi ne le mentionne pas), ni le quitter, puisqu'en quittant un homme elle quitte la vie : la loi l'a punie de mort.

Une femme qui quitte un homme meurt, un homme qui quitte sa femme est contraint de « laisser tout le mobilier qui la garnissait et la femme jouira, avec ses fils, des objets que le mari avait possédés » : une femme qui quitte un homme quitte la vie, un homme qui quitte sa femme quitte sa maison. Le mari peut divorcer, en renonçant au contrôle qu'il exerce sur les biens de sa femme et doit lui verser une compensation égale à la somme reçue en mariage.

Puisque le mariage est légitime de facto, un divorce ou une séparation ne l'est pas systématiquement. (le christianisme défend la sainteté du mariage monogame à l'exception de Saint Matthieu ( XIX, 9 ) qui autorise le divorce en cas de manquement à la chasteté), article 4 « nul homme ne pourra, à raison d'un autre crime, répudier sa femme ». Un homme ne peut pas répudier sa femme sans raison légitime : « si un homme a répudié sa femme, sans cause légitime, il devra lui payer une somme égale à ce qu'il avait donné pour le prix du mariage et devra payer, en outre, une amende de 2 sous d'or ».


Donc il y a inégalité femme/homme dans la loi (article 2) à propos du mariage : l'amende est de 12 sous d'or (que vaut cet argent pour 502 ? a priori, une dette sur plusieurs générations) pour un homme, tandis que la femme doit mourir dans un bourbier (lieu en creux dont le sol est recouvert de bourbe ? Dévorée vivante par des porcs ? Étouffée lentement dans des sables mouvants ? Les historien.nes ne savent toujours pas exactement ce que représentent un bourbier). La possibilité de l'amende crée une autre inégalité de droit : celle entre castes sociales.


Mais (article 3) un homme a la possibilité de répudier sa femme s'il a des raisons légitimes de le faire, c'est-à-dire si sa femme a commis certains crimes :ces crimes sont l'adultère, la sorcellerie, la violation de sépulture (article 3).


Donc on peut peut-être supposer que ce sont les trois crimes les plus graves ?


Pourquoi l'adultère ? Outre la trahison qui nous importe peu ici car un homme en est tout autant capable, c'est le risque de produire des enfants illégitimes qui fait que l'adultère d'une femme est considéré comme plus grave que celui d'un homme. Parce que les enfants issus du mariage légitime peuvent donc être des bâtards. Même le marquis de Sade le reconnaît, ça, dans sa philosophie dans le boudoir.

Il y a pourtant égalité dans la loi Gombette « si deux adultères sont trouvés en flagrant délit, que l'homme et la femme soient tués ».


Pourquoi la sorcellerie ? Quelle réalité sociale de la sorcellerie au Ve siècle? Il n'y a pourtant pas de persécution massive pour les sorcières avant 1270. D'après Jean Palou on parle justement de sorcellerie à partir de l'arrivée des Francs en Gaule au Ve siècle (donc des Barbares). Les Wisigoths précisent les sortilèges employés au VIe siècle : « Maléfiques et lanceur de tempêtes, ceux qui sont dits envoyer la grêle par des incantations sur les vignes et les moissons, et ceux qui, par l'invocation des démons, troublent les esprits des hommes, ou offrent des sacrifices nocturnes aux démons et les invoquent méchamment par des prières impies » mais pas puni de mort (Liv. VI, titre 2, ligne 3). Le concile d'Irlande de la seconde moitié Ve siècle déclare quant à lui « on anathématisera le chrétien qui aura cru qu'une lamie (sorcière) se trouve dans un miroir » parce que croire au sorcières au VIe siècle, c'est une croyance païenne. L'Inquisition n'a pas encore dressé ses bûchers. Mais même Childéric III en 742 interdit toute pratique de sorcellerie sans indiquer aucune punition. Alors la sorcellerie est une croyance possible, mais c'est croire aux sorcières qui est gravissime. Pas le fait d'être une sorcière. Pour accuser une femme de sorcellerie, il faut croire à la véracité de sa propre accusation.


Pourquoi la violation de sépulture ? Elle peut être assimilée à un acte de sorcellerie. Notons aussi le changement de mentalités et de pratiques funéraires de l'Antiquité tardive au Haut Moyen Age, il devient très rare de penser comme Saint Augustin qu'une fois qu'on est morts, on est morts, les Chértiens pensent que la sépulture et les prières des vivants peuvent sauver (cf article « L' évolution des lieux de sépulture au Haut Moyen Age » dans Liturgie et espace liturgique, Paris, 1987, Jean-Charles Picard, publications de l'Ecole Française de Rome).

Dans tous les cas, c'est la loi qui punit la femme, pas l'homme directement qui se ferait justice lui-même. Donc le cadre du mariage est avant toute chose une structure sociale, plus qu'un vécu intime et une relation personnelle. Et ce qui mettrait en danger cette structure sociale ce serait : l'infidélité, les croyances païennes, une sorte d'infidélité à Dieu aussi.


II - Définitions du masculin et du féminin par la loi – Rationalité normative


Les lois barbares définissent le cadre du mariage, monogame, mais aussi les acteurs et concernés de ce mariage : l'homme et la femme. Et le corpus juridique que nous avons fournit des indices à propos de la définition des catégories sociales, des relations entre ces dernières. Ainsi que des indices sur les structures économiques. Ces lois sont un « gisement exceptionnel de pratiques sociales » nous dit Lienhard.


Contrôler le corps des femmes


L'homme qui cherche une relation durable doit connaître le premier une femme car, si elle est déjà éveillée sexuellement, on postule qu'elle sera plus difficilement maîtrisable.

La loi d'Ethelbert du Kent illustre aussi cette valeur suprême de la virginité là : « la compensation pour une injure à une vierge est égale à celle d'un homme libre ». Une femme n'a jamais autant de valeur que vierge. Aussi, on peut supposer que, faire semblant d'être vierge, c'est la fraude mentionnée plus loin par la loi d'Ethelbert du Kent « si un homme épouse une jeune fille, elle sera à lui moyennant paiement, s'il n'y a pas fraude. Mais s'il y a fraude, elle sera renvoyée chez elle et l'homme recouvrera son argent ».

La valeur de la fille est dans la virginité mais la femme, au contraire, a sa valeur dans le fait de donner des enfants, vivants, à son mari. : « si elle enfant un enfant vivant, elle aura la moitié de ses biens si le mari meurt le premier. Si elle veut s'en aller avec les enfants, elle aura la moitié des biens ». La femme médiévale est conceptualisée comme humide, froide, fragile, ouverte et molle, donc plus proche de l'animalité que l'homme. Ses capacités de jouissance répétitives et son absence de période réfractaire post-coïtum fait qu'elle souffre d'hystérie lorsque son corps est sevré. Donc, on stabilise sa sexualité par la grossesse. La grossesse permet d'assurer un héritier, un successeur, donc une reproduction sociale et économique, mais permet aussi, dans l'esprit des hommes, de contrôler les femmes et leurs corps.


Être femme pour enfanter


Le mariage est une relation sociale institutionnelle qui, comme on l'a déjà dit, contrôle les femmes en se régulant lui-même. Alors, à quelle fin contrôler le corps des femmes ? Avant tout, le corps des femmes est considéré par les Barbares (mais cela n'a rien d'une spécificité ou d'une originalité) comme une ressource. C'est par lui que la société se régénère et se reproduit. Ainsi, être femme, et ou donc être épouse, cela sert à enfanter. « si elle n'a pas d'enfants, le lignage paternel aura ses biens et la morgengabe » nous dit la loi d'Elthelbert du Kent : on a tendance à estimer (mais cela cause bien des débats historiographiques, pour cela, lire Joye) depuis le XIXe siècle qu' il y a trois types d'alliance chez les peuples germaniques :

Kaufehe (mariage par achat)

Raubehe (mariage par rapt, ce qui a donné rapeen anglais, exemple : Ingonthe femme de Clotaire ou sainte Radegonde)

Fridelehe (mariage par consentement)


La morgengabe désigne la somme allouée à la jeune femme après consommation du mariage, que l'union ait été Kaufehe (suite à un achat) ou Fridelehe (décidée par consentement mutuel). On l'a verse le matin suivant la nuit de noces. Avant d'être une épouse, une femme, la fille est un bien que l'on peut vendre, je pense. Les historiens ne le seront pas avec moi.

On comprend que la valeur d'une femme est dans sa capacité à enfanter lorsque l'on constate les peines à l'encontre des meurtres de femme enceinte dans la loi Salique : article LXV « Si quelqu'une tue une femme enceinte, qu'il soit condamné à payer une amende de 24 000 deniers qui font 600 sous. [ … ] si quelqu'une tue une jeune fille âgée de 12 ans, qu'il soit condamné à payer une amende de 200 sous. Si elle est plus âgée et jusque 60 ans, tant qu'elle peut avoir des enfants, il paiera une amende de 600 sous. Si elle est tuée lorsqu'elle ne peut plus avoir d'enfants, l'amende sera de 200 sous. ».

Les codes de lois estiment la vie des femmes très cher, mais c'est bien leur capacité à enfanter qui est prisée.


Être femme pour enfanter des mâles


Le meurtre d'une femme enceinte est plus grave d'après la loi que le meurtre d'une femme. C'est même plus grave que le meurtre d'un homme libre (200 sous), c'est la compensation la plus chère, quasimment personne ne peut payer ça. Article LXV, 1 : « si quelqu'un tue une femme enceinte, qu'il soit condamné à payer une amende de 24 000 deniers qui font 600 sous. Et s'il a été prouvé que l'enfant serait un garçon, qu'il soit condamné à payer pour ce garçon une amende de 600 sous. ».

Pourquoi enfanter des mâles ? Lois de l'héritage (exception de la loi wisigothe : si les parents meurent intestats, les enfants, garçons ou filles, héritent à part égales).

Comment connaître le sexe du bébé au VIe siècle avant sa naissance ? Peut-être quelques éléments de réponse se trouvent dans le Chapitre 2 de Histoire des femmes en Occident, tome II Le Moyen Age, « de la nature féminine » par Jacques Dalarun : le froid et le chaud, ainsi que la localisation droite-gauche, peuvent dans la matrice prévoir le sexe de l'embryon ainsi que l'aspect physique du futur enfant à venir. « En vertu d'une communication directe avec le foi, naturellement chaud, la matrice droite et le testicule droit sont plus chauds que leurs homologues gauches et donc aptes à nourrir le mâle. La lutte entre les semences détermine également le sexe de l'embryon. C'est dans ce système de localisation spatiale que prend place la doctrine des sept cellules : les cellules de droite accueilleront la mixtion des spermes pour former des mâles, celles de gauches des femelles. Quant à la cellule centrale, elle rend compte de la formation de l'hermaphrodite. Si l'émission masculine est faible, mais si l'homme et la femme se vouent une grande affection, alors naîtra un enfant vertueux de sexe féminin. Le résultat le plus désastreux est obtenu lorsque la semence du père est faible, que les parents manquent d'amour l'un pour l'autre : alors voit le jour une méchante fille ».

Guillaume de Conches (né autour du XIIe siècle et mort vers 1150) a une autre théorie (la précédente étant d'Hildegarde de Bingen) : à droite mais un peu vers la gauche ce sera un homme efféminé, à gauche mais un peu vers la droite ce sera une femme virile. Donc il y a bien classification des types humains empruntés à la science antique, notamment celle d'Hippocrate, mais toutes sont postérieures à nos textes de lois, ce sont que des hypothèses.

Pourquoi cette classification des types humains se fait-elle au bénéfice des fils et non des filles ?

Ce que dit la loi Salique : article LIX, 1-6, à propos de l'héritage : « si quelqu'un meurt et ne laisse pas de fils, que sa mère subsiste, que celle-ci recueille son héritage », « si la mère a disparu et qu'il laisse un frère ou une sœur, que ceux-ci recueillent son héritage. S'ils ont disparu, c'est alors à la sœur de la mère de recueillir l'héritage. S'il ne subsiste pas de sœurs à la mère, que celles du père recueillent l'héritage. S'il ne subsiste pas de sœurs du père, c'est à celui qui est le plus proche parmi les générations appartenant à la branche paternelle qu'il appartient d'hériter. ».

Mais une femme n'hérite pas d'une terre salique « quant à la terre salique, une femme ne peut absolument pas en hériter » alors qu'est-ce qu'une terre salique ? Une terre des Saliens donné aux hommes après qu'ils aient fait la guerre. C'est la seule terre que les femmes ne peuvent posséder.Et seulement parce qu'elles n'ont pas le droit non plus de combattre.

Ce principe, passé à la postérité, est celui auquel la loi salique doit sa célébrité : « toute terre doit aller au sexe mâle ». À part les terres saliques ; les dernières rédactions de la loi salique et les autres codes des peuples germaniques indiquent que les femmes peuvent hériter des terres de leurs parents, sauf si cela est déjà constitué dans le patrimoine familial.


III - Hiérarchie des genres masclin et féminins inscrite dans la loi : quelle utilité pratique – application dans le réel ?


La loi se fonde sur des distinctions pensées comme opposées, donc établit des systèmes de domination (libres/esclaves, hommes/femmes, déchues/vierges,…)


Les inégalités femmes/hommes des lois barbares s'inscrivent dans un système comprenant d'autres inégalités. Un esclave qui fait violence a une femme est puni de mort, cf la loi Gombette « si un esclave a fait violence a une femme libre et si cette femme s'est plainte et à pu fournir du fait une preuve évidente que l'esclave, à raison de son crime, soit puni de mort » : il y a, outre la distinction femme/homme, la distinction esclave/libre.

On constate également la pertinence d'un outil analytique tel que le genre pour une compréhension de l'organisation sociale puisque un homme, même esclave, peut être violent envers une femme, fût-elle libre. Cependant, est-ce qu'une femme peut faire du mal à un esclave ?

« La vie et la vertu de l'ancilla sont estimées au plus bas, puis viennent la lita, demi-libre, et la liberta, affranchie : au sommet, la loi burgonde place les esclaves de l'Eglise et de la couronne. » L'histoire des femmes en occident montre les degrés de libertés ou de servitude à l'inverse dans les sociétés barbares qui sont intrinséquement inégalitaires. . Le premier paragraphe de la loi d'Ethelbert du Kent le démontre dans un autre cas : « celui qui couche avec une servante d'un ceorl (paysan guerrier) doit payer une amende de six shillings. Si c'est une servante de seconde classe, il paie 50 sceattas, et si c'est une esclave de troisième classe, 30 sceattas » ces distinctions de classe ne valent pas que pour les servantes mais pour toutes les catégories de femmes, ligne 6, « celui qui ne respecte pas la protection d'une veuve noble de la première classe est passible d'une compensation de 50 shillings, de la deuxième classe de 20 shillings, de la troisième classe de 12 shillings, de la quatrième classe de 6 shillings ». À comparer les prix on en vient à conclure que le plus cher, en terme d'amendes, c'est-à-dire le plus grave, en terme de loi, cela reste le rapt de vierges (50 shillings).

« Celui qui enlève de force une vierge doit 50 shillings à celui dont elle dépend et doit ensuite acheter le consentement du mariage ».

Enlever de force = raptus ? À partir de l'Antiquité tardive, raptus est un mariage réalisé sans le consentement des parents. Pour les rois barbares, dont le pouvoir réside plus par l'emprise sur les personnes que l'emprise sur les territoires, c'est un total déni d'autorité. Le rapt est un crime contre l'ordre social, l'ordre des échanges matrimoniaux, dans une compétition entre époux potentiels, plus qu'un crime à caractère sexuel.


Les amendes et punitions prévues sont établies en fonction de la condition sociale


Ce que dit la Loi d'Ethelbert du Kent :

coucher avec une servante d'un ceorl (paysan guerrier) a amende de six schillings

servante de seconde classe 50 sceattas

esclave de troisième classe, 30 sceattas

coucher ou violer ?


Phrase dit que l'homme est actif et la femme passive : Sexe ? Viol ? Consentement de la femme ?

Si une femme libre aux cheveux longs se conduit mal, elle doit compensation de 30 shillings. Une femme libre paye elle-même la compensation, elle ne se retourne pas vers un protecteur. C'est là toute l'essence de son statut. On appelle ces femmes Locboer, ce qui signifie qu'elle possède les clés. On a retrouvé en Angleterre des corps de femmes avec ces clés (et le Kent est en Angleterre).


La compensation d'une injure pour une vierge est égale à celle d'un homme libre : insulter une vierge équivaut à insulter un homme. « La compensation pour une injure à une vierge est égale à celle d'un homme libre ». L'une de ses distinctions, à partir duquel la loi (et par conséquent les pratiques sociales) s'organise est l'âge. Mais le critère le plus important est la virginité pour une fille, et la grossesse pour une femme. Le temps de la vie des femmes n'est qu'attente des menstruations.


Est-ce qu'on peut penser d'autres critères de distinction que ceux mentionnés par la loi ? L'appartenance à une institution eclésiastique, le pouvoir, la richesse, le lignage, le travail. Mais il n'y a que le genre, l'âge, la richesse, et l'appartenance à une caste sociale qui sont présentes dans ces lois.


L'utilité pratique de la loi


Selon un concept traditionnel à ce sujet, les habitants d'un même territoire politique auraient été soumis, au haut Moyen Âge, à des droits concurrents en fonction de leurs origines ou des classifications ethniques subies après leur naissance : les Francs auraient dépendu de la loi salique, les Burgondes (même s'ils résidaient sur le même territoire que les précédents) auraient été gouvernés par la loi Gombette et ainsi de suite. Mais il y a coexistence de fait durant l'Antiquité tardive, entre anciennes populations de l'empire romain et nouveaux arrivants d'origine germanique, on l'a déjà démontré dans la première partie. Alors, quelle utilité pratique de la coexistence de ces lois ? Reprenons l'hypothèses de deux lois pour deux groupes.

Par exemple en Bourgogne, la loi Gombette existe et s'applique aux Burgondes, et une autre loi romano-burgonde existerait pour les Gallo-Romains de ce même territoire (cf pamphlet d'Agobard de Lyon 778-840, archevêque, déplore la persistance de la loi Gombette alors qu'est déjà majoritairement appliquée la loi salique, hypothèse consensuelle il y a 20 ans mais plus maintenant).

Les titres des lois barbares relèvent de l'archaïsme, par exemple la loi « salique » alors que le nom des Saliens a déjà disparu du discours public depuis plusieurs décennies. La loi salique est le témoignage d'un raffinement par anachronisme, plus que d'une volonté de distinguer un quelconque groupe ethnique (qui ne porte plus ce nom).


Peut-on appliquer les lois barbares ?


Hermann Nehlsen disait en 1977 que les lois barbares sous leur forme conservée sont lacunaires et contradictoires donc considèrait que lois barbares étaient une adaptation maladroite du droit romain.

Alors, ces lois relèvent-elles de la pure posture politique ? Pour valoriser le législateur. N'oublions pas que l'unité de ces lois, c'est aussi qu'elles ont été ratifiées par des vieux rois, à la fin de longs règnes, très victoriaux. Dans le contexte du VIe siècle où les monarchies barbares recherchent une autonomie par rapport à Byzance, les princes auraient singé la législation impériale pour appuyer leurs prétentions au pouvoir. De plus, ces lois sont tellement sévères que leur application réelle aurait du être en dernière instance, la sévérité des lois obligeant ainsi les deux parties à s'accorder avant d'en arriver à de telles extrêmités.

La codicologie va dans ce sens, les lois barbares sont fréquemment représentées dans des formats typiques pour usage courant (pas juste en manuscrits d'apparat). Ce sont donc bien des outils de travail pour les copistes, du simple cahier à une feuille volante. L'organisation du texte comporte aussi des outils destinés à une lecture rapide, pour une application de la loi facilitée (par exemple : données synthétiques, règles de calcul pour faciliter les conversions, donc discours à finalité pratique, pas un exercice de style et de prestige). Mais il serait anachronique de chercher un système normatif complet dans une seule loi. On penche plutôt pour une application judiciaire (adaptation permanente des lois, extrêmité des sentences), ce qui nous permet donc de les analyser sur le plan de l'histoire sociale.

Le royaume burgonde est annexé au royaume franc en 534 mais la loi burgonde, et notamment les titres étudiés ici seront appliqué sur le territoire (même privé de son autorité politique et judiciaire). L'archevêque de Lyon, Agobard, demande encore son abrogation au milieu du IXe siècle.

Les sociétés d'Occident ont hérité de l'Antiquité tardive des contraintes d'ordre juridique et social, en particulier des distinctions établies entre les relations occasionnelles, l'union libre (ou concubinage) et l'union légale, juridiquement sanctionnée, soumise à une morale parfois qualifiée d'austère, et dont la procréation constitue la figure centrale. « Les Chrétiens n'ont pas plus inventé la morale chrétienne, qu'ils n'ont inventé la langue latine, ils adoptèrent l'une et l'autre » écrit Pascal Quignard. « Ils n'ont rien réprimé du tout, c'était déjà fait » ajoute Paul Veyne.

Les lois barbares sont des règles juridiques, installant entre autre la domination masculine. Et il n'y a pas besoin d'une Eglise puissante pour cela. La mentalité est déjà là, déjà héritée des Romains.

Ensuite, et plus fondamentalement même, c'est la famille qui structure cette domination.

« C'est sans doute à la famille que revient le rôle principal dans la reproduction de la domination et de la vision masculine [ … ] garantie par le droit » écrira plus tard Bourdieu, à propos de la Kabylie des années 1990.

Ce droit barbare, on l'a vu, définit les groupes sociaux, établit des normes, des règles de successions, organise sa société à partir d'une de ses structures : la famille. Cette organisation se pérenise et se reproduit à partir d'une pratique : le mariage, ou le rapt. Le mariage permet d'une part, d'organiser la société (excepté en cas de rapt, les familles se marient entre mêmes classes), et d'autre part, de contrôler le corps des femmes, ressource précieuse. Les lois barbares, en hiérarchisant les catégories sociales de genre, définissent « la femme » et l''homme ». La femme, c'est donc la femme de, la mère. En faisant de la femme, et avant tout de son corps un outil de reproduction sociale et économique, dans le cadre du mariage, les lois barbares ont donc bien donné une identité, un statut, un rôle propre aux femmes dans ces royaumes.

Mais ce que les loirs barbares disent des femmes dépasse encore notre cadre chronologique, et les Modernes sont aussi des héritiers de cette logique.

Lorsque s'éteint la dynastie des Valois en 1589, Phillipe II d'Espagne essaie d'imposer la fille qu'il a eue d'Elisabeth de France, fille de Henri II, contre le roi Henri IV. L'arrêt du parlement de Paris de 1593 déclare nuls les traités conclus parce que « préjudice de la loi salique et des autres lois fondamentales du royaume ».

À partir de 1593, la loi salique sera invoquée pour empêcher les femmes d'accéder au trône.

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