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Photo du rédacteurTIMOCLEIA

L'ingénue libertine



De nombreux comptes Instagram apparus il y a quelques mois ont dénoncé la tendance masculine hétérosexuelle à ne pas faire jouir les femmes hétérosexuelles, que cela soit par absence de volonté ou ignorance fondée en culture sexiste.


On vous avez bien dit (cf « clitoridiennes de tous les pays, unissez-vous! » paru dans le journal Libération) qu’après MeToo, ce phénomène où certains commencent à écouter les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, viendrait le temps où la société entendrait bien qu’on ne jouit pas assez, et qu’on ne l’accepte plus. Il y a plus de huit mille terminaisons nerveuses dans un clitoris et certains ne le trouvent pas?


Et comme pour MeToo, il a fallu rappeler que ce n’était pas la parole des femmes agressées et violées qui se libérait mais les oreilles des témoins passifs et aveugles, car les femmes ont toujours parlé.


Il faut aussi aujourd’hui commencer à rappeler que les femmes ne jouissent pas, bien qu’actuellement le temps soit à l’hypersexualisation permanente du corps des femmes, et que ça ne date pas d’hier. À l’heure actuelle de nombreux comptes (jouissance club, tasjoui, le_culnu) prennent le relai des films pornos humiliants et de l’ensemble de la culture dominante sexiste pour offrir dans l’espace public des conseils sains, des témoignages, des messages de bienveillance, et véhiculer un message de respect et d’orgasmes.


À l’heure actuelle nous pouvons donc aussi nous interroger sur cette vieille tradition masculine hétéronormée qui consiste à baiser mal, baiser pour soi, baiser sans conscience de l’autre, et considérer que c’est la fin quand le sperme est éjaculé (scandaleux, n’est-ce pas?). Il y a un livre à relire dans ces temps de réflexion sur nos sexualités contemporaines, « L’Ingénue Libertine » (1909) de la grande Colette.


L’ingénue libertine, c’est Minne, adolescente rêveuse qui aspire au grand Amour, à la grande Vie, à la grande Aventure, qui imagine, qui espère, puis qu’on marie à son cousin germain Antoine. Minne c’est Bovary mais sans la jouissance. La petite fille qui rêve grand, aspire beaucoup et se retrouve finalement dans la déception. Je l’a laisse ici se présenter toute seule, quelques petits extraits issus du volume final, rassemblant « Minne » puis « Les Égarements de Minne ». C’est dans les égarements de Minne (comprenez, les adultères) que Minne se désespère de ne pas jouir. Colette prévient dans l’avertissement qu’elle n’eut jamais la certitude que ce soit un bon roman, mais je vous affirme que les débuts de sa carrière de romancière sont excellents.


« Voilà, c’est fait...encore un! Le troisième, et sans succès. C’est à y renoncer. Si mon premier amant, l’interne des hôpitaux, ne m’avait pas que je suis parfaitement conformée pour l’amour, j’irais consulter un grand spécialiste. Elle se remémore tous les détails de son bref rendez-vous, et serrée les poings dans son manchon. Enfin, voyons! Ce petit, il est gentil comme tout! Il meurt de plaisir dans mes bras, et moi, je suis là à attendre, à dire : évidemment, ce n’est pas désagréable...mais montrez-moi ce qu’il y a de mieux! [...] Il n’y a plus d’espoir pour aujourd’hui. Deux ans de mariage, et trois amants... des amants? Peut-elle les nommer ainsi dans son souvenir? Elle ne leur accorde qu’une indifférence faiblement vindicative, à ceux-là qui ont goûté près d’elle le convulsif et court bonheur qu’elle cherche avec une persistance déjà découragée. [...] Rien ne l’enivrait, pas même sa douleur - il y a des brûlures de fer à friser qui sont autrement insupportables -, mais elle espérait mourir, sans trop y croire. »


« Voilà, c’est mon mari. Il n’est pas plus mal qu’un autre, mais..., c’est mon mari. En somme, pour ce soir, j’aurai la paix plus tôt, si je consens... sur cette conclusion, qui contient toute une philosophie d’esclave, elle va lentement à sa chambre, et retire en marchant les épingles de ses cheveux. »


« Moi, commence-t-elle, je trouve que vous êtes tous des égoïstes. Vous ne parlez que de votre plaisir, de votre sensation, comme si celle de... l’autre n’était pas d’importance. »


« Oui, j’ai couché avec lui. J’ai couché avec lui et trois autres, en comptant Antoine. Et pas un, pas un, vous entendez bien, ne m’a donné un peu de ce plaisir qui les jetait à moitié morts à côté de moi ; pas un ne m’a assez aimée pour lire dans mes yeux ma déception, la faim et la soif de ce dont moi, je les rassasiais! »


Colette est probablement la première romancière à aborder en littérature ce système social où l’orgasme féminin est nié dans une perspective de répression des femmes. Sa propre homosexualité a probablement permis à Colette de s’affranchir de ce carcan de normes genrées, où la femme ne jouit pas.


« Irène Chaulieu dit qu’il faut se ménager, sinon ne veut pas paraître tout de suite cinquante ans, et elle assure que, pourvu qu’on crie ah !ah !, qu’on serre les poings et qu’on fasse semblant de suffoquer, ça leur suffit parfaitement. Ca leur suffit peut-être aux hommes, mais pas à moi ! s’écrie Minne. »


Et le mot de la fin : « Il y a des filles, Monsieur, qu’on brutalise et qu’on insulte... _ Minne ! _ ... et qui en ont plus lourd sur le cœur que tous les collégiens du monde! »

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