Une laïcité en cache une autre ! Contrairement à une fausse idée largement répandue, non, la loi du 2 décembre 1905 n'est pas la première application de la laïcité en France. Pour comprendre cela, il faut revenir au 2 avril 1871. La Commune, premier mouvement de femmes massif, applique pour la première fois en France ( même si c'est dans une toute petite partie spatiale de la France : Paris ) un principe aujourd'hui reconnu comme fondamental et faisant consensus.
L'anticléricalisme triomphant du XIX e siècle motive ce projet et sa réalisation par les révolutionnaires. Mais l'anticléricalisme est aussi particulièrement à l'oeuvre pour réprimer les femmes et leurs prétentions à la participation de la vie publique. La confiance réciproque, sentiment nécessaire pour assurer la cohésion d'un groupe militant entre ses membres, fait défaut aux révolutionnaires à propos du genre. Les hommes n'ont pas et ne peuvent pas avoir réellement confiance en les femmes, par anticléricalisme. André Léo sera l'une des plus ferventes critiques de cette mentalité misogyne : « Croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes ? Voilà 80 ans qu'on l'essaie et on n'en vient pas à bout. » André Léo ( féministe, socialiste, communarde et écrivaine, de son vrai nom Léodile Béra ) reprend la logique de Jules Michelet en l'a retournant : Michelet dit qu'il y a échec des révolutions parce que les femmes existent. André Léo dit qu'il y a échec de la révolution parce que les femmes en sont exclues. « Repoussées par la révolution, les femmes retournèrent au catholicsme, et, sous son influence composèrent cette immense force réactionnaire, imbue de l'esprit du passé, qui étouffe la Révolution toutes les fois qu'elle veut renaître »
L'idée selon laquelle les femmes auraient le véritable pouvoir, la puissance explose dans les décennies précédant l'adoption de la laïcité. Michelle Perrot le précise « le XIXe siècle croit aux capacités morales des femmes, il les redoute comme un bloc d'inertie qui freine la modernité ».Il serait difficile de continuer à parler des rapports de la laïcité aux femmes sans se référer encore à André Léo soulignant la contradiction des hommes : « Ils demandent que la femme ne soit plus sous le joug des prêtres ; et il leur déplaît de la voir libre penseuse. [ … ] ils veulent bien qu'elle ne travaille pas contre eux, mais ils rejettent son concours dès qu'elle veut agir ».
En effet, dans les faits, la participation des femmes à la Commune se fait de manière subalterne. En 1871 personne ne pense même à réclamer le suffrage véritablement universel. Ce sont les hommes qui votent la laïcité le 2 avril 1871. Cet acte et l'imaginaire sexiste qu le sous-tend leur dénient la capacité à agir lorsque cette même capacité est similaire à la leur – donc potentielle leur égale ? - que lorsque les femmes veulent / peuvent agir comme les hommes, en alliées. L'anticléricalisme postule que les femmes ne peuvent donc agir seulement qu'en ennemies ( des hommes, point de vue prétendumment universel toujours ). Les femmes apparaîssent comme des traîtresses en puissance dans la mesure où les prêtres sont sensés les manipuler par le confessional ( thème du pouvoir occulte et nocturne des femmes ). Ce vieux topos se cristallise par la publication de La Femme et le prêtrede Michelet : expliquant l'échec de la Révolution française et de la République de 1848 en élaborant une théorie très originelle et novatrice, attention spoiler : c'est toujours la faute des femmes.
Avant que d'aborder la laïcité de 1905 ayant encore force de loi aujourd'hui, terminons ce rapide tour d'horizon de la première laïcité communarde par les mots d'André Léo : « La femme ne doit plus obéir aux prêtres ; mais elle ne doit pas plus qu'auparavent relever d'elle-même. Elle doit demeurer neutre et passive, sous la direction de l'homme, elle n'aura fait que changer de confesseur ». Ca peut être ça, aussi, la laïcité émancipatrice ? Voilà un sphinx qui met bien l'entendement masculin à rude épreuve.
Pourquoi les hommes ont-ils banni Dieu ? André Léo est très radicale et dépasse leurs justifications béates de lutte à l'ordre moral d'Ancien Régime persistant : « beaucoup de Républicains n'ont détrôné l'empereur et le bon Dieu... que pour se mettre à leur place » mais « Dieu a sur l'homme, en ce point, cet avantage immense, c'est de rester inconnu, c'est cela qui lui permet d'être l'idéal ». Les hommes établissent la laïcité pour neutraliser la charge politique des femmes selon la communarde. Le contexte de guerre fait ressortir plus fortement à ce moment-là qu'en 1848 le sans-culotte, le soldat de l'an II ; l'idéal ici n'est pas tellement l'homme véritable que l'homme viril, militaire et patriotique de 1792. A cette sacralisation de la politique émanant sous la forme d'une virilisation excessive ( pléonasme ? Malheureusement pas tout à fait, le mouvement ouvrier se virlise tout au long du XIX e siècle ) André Léo répond par une forme d'insulte, comparer les laïcs anticléricaux à Dieu.
Marx considérait ( à tort ) que l'outil spirituel de l'oppression était « le pouvoir des prêtres » et par là dans l'esprit des gens de son temps, aussi les femmes ; or, en prenant l'exemple de Dieu, André Léo signifie aussi que la virilité comme seul mode politique est un outil d'oppression. Et que la laïcité risque de ne devenir qu'une passation d'oppresseur, du Dieu pensé masculin à l'homme véritable. Ces propos ne sont plus d'actualité bien sur, la laïcité de 1871 n'est pas celle de 1905 et encore moins celle de 2019. Et les craintes de l'autrice n'ont pu se vérifier tout à fait dans la pratique puisque les Versaillais, farouches catholiques, répriment la révolution quelques jours après la parution de cet article. Toutefois, il n'est pas inutile de nous souvenir ce que cela a pu signier, à un moment donné, pour nos pionières de l'émancipation des femmes. Un rappel de leur infériorisation : trop faibles spirituellement, trop incapables rationnellement, ce sont elles qui constituent le péril mortel de la religion menacant la révolution. Sauf que la révolution est bien inachevée, tuée par des hommes ( mais ça aussi ça va encore nous être mis sur le dos peut-être ), que cette révolution s'est faite en tentant d'en exclure les femmes, et que si la laïcité a triomphé, ce n'est pas comme exclusion des femmes.
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