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Photo du rédacteurTIMOCLEIA

« Ariel », Sylvia Plath ( 1963 )

« Ariel est un événement majeur de l’histoire de la littérature. Voici venue la fin des poétesses » écrit Robert Lowell, poète américain, à la parution de ce recueil. Il veut dire par là que le terme au féminisme qui connotait jusque là son mépris réel des femmes qui écrivent n’a plus lieu d’être car il ne faudrait plus être péjoratif. Sylvia Plath écrit si bien qu’elle ne peut plus être appelée comme une femme, ce qu’elle est, il faut l’appeler poète. Bonjour la condescendance. Sylvia Plath disait, elle, « je serai la poétesse de l’Amerique » et elle avait bien raison. Qui se rappelle de Lowell, même?

Ariel parait deux ans après la mort de Sylvia Plath, en 1965. « I’m writing the best poems of my life, they will make my name » écrivait-elle alors à sa mère. Ces poèmes sont écrits entre octobre 1962 et le 5 février 1963. Sylvia se donne la mort le 11 février. La parole de colère et de désespoir d’Ariel est encore en chantier et on ne sait même pas quel nom elle aurait pu donner au recueil. Daddy? A birthday present? Sa dernière demeure fut symboliquement le Yorkshire même des Hauts de Hurlevent.


Chant du matin :


Amour, l’amour a réglé le rythme de ton coeur comme une grosse montre d’or.

La sage-femme a giflé les plantes de tes pieds, et le pur cri de toi,

Pris sa place aussitôt parmi les éléments.

Nos voix résonnent à la gloire de ta venue. Statue nouvelle

Dans un musée rempli de courants d’air. Ta nudité

Menace notre sécurité. Nous t’entourons comme des murs ébahis.

Je ne suis pas plus ta mère

Que le nuage qui distille un miroir où longuement se refléter

Avant de disparaître au gré du vent.

Toute la nuit ton souffle de papillon

Vibre au milieu des roses toutes roses. Je m’éveille et j’écoute :

Un océan lointain roule dans mon oreille.



Moutons dans la brume :


Les collines descendent dans la blancheur

Les gens comme des étoiles

Me regardent attristés : je les déçois.

Le train laisse une trace de son souffle.

Ô lent

Cheval couleur de rouille,

Sabots, tintement désolé—

Tout le matin depuis ce

Matin sombre,

Fleur ignorée.

Mes os renferment un silence, les champs font

Au loin mon cœur fondre.

Ils menacent de me conduire à un ciel

Sans étoiles ni père, une eau noire.



Dame Lazare :


Ça y est, je l’ai encore fait.

Tous les dix ans, c’est réglé,

Je réussis –

Comme un miracle ambulant, ma peau devient

Aussi lumineuse qu’un abat-jour nazi,

Mon pied droit

Un presse papier,

Mon visage délicat

Mouchoir juif.

Ôtez-moi ce linge blanc,

Ô mon ennemi.

Le nez, les orbites, la denture complète –

N’est-ce pas parfaitement effroyable ?

L’aigreur de l’haleine

Aura disparu en une journée

Et très vite la chair

Que le gouffre du tombeau avait dévorée

Se remettra d’elle-même en place

Sur moi, femme souriante.

Je n’ai que trente ans.

Et comme les chats je dois mourir neuf fois.

Ceci est ma mort Numéro Trois.

Quel saccage

Pour anéantir chaque décennie.

Quelle multitude de filaments.

La foule qui croque ses cacahuètes

Se bouscule pour me les voir

Enlever un à un -

C’est le strip-tease intégral.

Messieurs, mesdames.

Voici mes mains,

Voilà mes genoux.

Si je n’ai que la peau et les os,

Je n’en suis pas moins véritable, la même femme.

La première fois j’avais dix ans.

C’était un accident.

La deuxième fois j’étais bien résolue

À en finir, ne jamais revenir.

Je me suis scellée

Comme un coquillage.

Ils ont appelé, appelé, ils ont

Retiré les asticots gluants comme des perles.

Mourir

Est un art, comme tout le reste.

Je m’y révèle exceptionnellement douée,

On dirait l’enfer tellement.

On jurerait que c’est vrai.

On pourrait croire que j’ai la vocation.

C’est assez facile à réaliser dans une cave.

C’est assez facile de rester là et d’attendre.

C’est le retour

Théâtral en plein jour

Au même lieu, au même visage, à la même clameur

Primitive amusée :

« Miracle ! »

Qui me foudroie.

Il faut payer

Pour regarder mes cicatrices, il faut payer

Pour entendre mon cœur –

Il bat pour de bon.

Et il faut payer et payer très cher

Pour avoir un mot, un geste,

Un peu de sang,

Une mèche de mes cheveux, un bout de mes vêtements.

Voilà, voilà, Herr Doktor.

Voici, Herr Ennemi.

Je suis votre chef-d’œuvre,

Je suis votre bien le plus précieux,

Le bébé tout d’or pur

Qui fond en un seul cri.

Je brûle et me consume.

Ne croyez pas que je sous-estime la valeur de vos intérêts.

Cendre, cendre –

Vous tisonnez.

De la chair, des os, rien, vous fouillez –

Un pain de savon,

Une alliance,

Une dent en or.

Herr Dieu, Herr Lucifer

Méfiez-vous

Méfiez-vous.

De la cendre je surgis

Avec mes cheveux rouges

Et je dévore les hommes –

Dévore les hommes comme l’air.



Ariel

( poème écrit le jour de l’anniversaire de ses trente ans ) :


Un moment de stase dans l'obscurité.

Puis l'irréel écoulement bleu

Des rochers, des horizons.

Lionne de Dieu,

Nous ne faisons plus qu'un,

Pivot de talons, de genoux! -- Le sillon

S'ouvre et va, frère

De l'arc brun de cette nuque

Que je ne peux saisir,

Yeux nègres

Les mûres jettent leurs obscurs

Hameçons --

Gorgées de doux sang noir --

Leurs ombres.

C'est autre chose

Qui m'entraîne fendre l'air --

Cuisses, chevelure ;

Jaillit de mes talons.

Lumineuse

Godiva*, je me dépouille --

Mains mortes, mortelle austérité.

Je deviens

L'écume des blés, un miroitement des vagues.

Le cri de l'enfant

Se fond dans le mur.

Et je

Suis la flèche,

La rosée suicidaire accordée

Comme un seul qui se lance et fonce

Sur cet oeil

Rouge, le chaudron de l'aurore.

Rivalité :

Si la lune souriait, elle te ressemblerait. Vous laissez la même drôle d’impression

De Beauté et de quelque chose de mortel.

L’usage de la lumière est votre grande affaire.

Seulement sa bouche à elle se désole pour le monde, pas la tienne.

Toi, tu as d’abord le don de tout changer en pierre.

C’est dans un grand mausolée que je m’éveille ; tu es là,

Tu tapotes des doigts la table de marbre, tu veux fumer,

Tu as la rancune tenace des femmes, un peu de leur nervosité,

Et tu meurs d’envie de dire quelque chose de définitif.

La lune aussi humilie ses sujets,

Mais le jour elle est ridicule.

Par contre tes griefs, tes insatisfactions:

Arrivent régulièrement, affectueusement par la poste,

Expansifs comme l’oxyde de carbone.

Il ne se passe pas un seul jour sans nouvelle de toi,

Tu te promènes peut-être en Afrique , mais tu ne m’oublies pas.

Papa : ( 12 octobre 1962 )

Ne fais pas, ne fais pas, 

plus jamais, chaussures noires

dans lesquelles j’ai vécu comme un pied

pendant trente ans, pauvre et blanche,

osant à peine respirer ou éternuer.

Papa, j’ai dû te tuer. 

Tu es mort avant que j’en ai eu le temps —

Lourd comme marbre, un sac débordant de Dieu,

grand comme un phoque de Frisco

et une tête dans l’étrange Atlantique

où se déverse grain vert ou bleu

dans les eaux hors du si beau bateau Nauset 

au se déverse grain vert ou bleu

J’ai souvent prié pour te retrouver

Ach, du. 

Dans la langue allemande, dans la ville polonaise

nivelé à ras par les rouleaux

des guerres, guerres, guerres.

Mais le nom de la ville est commun. 

Mon ami polonais

Me dit qu’il y en a une douzaine ou deux.

Aussi je ne pourrais jamais raconter 

où tu avais mis les pieds, tes racines.

Jamais je ne pus te parler.

La langue était coincée dans ma mâchoire.

Cela coince dans le piège des fils de la barbe.

Ich, ich, ich, ich, 

je peux difficilement parler.

Je pensais que tout Allemand était toi

et la langue obscène.

Une locomotive,une locomotive

me déportant comme un juif

Un juif de Dachau, Auschwitz, Belsen.

Je commence à parler comme un juif.

Je pense que je devrais bien être un juif.

La neige du Tyrol, la bière légère de Vienne

ne sont ni pures ni vraies.

avec mes ancêtres tziganes et ma chance bizarre

et mon sac de contrefaçon et mon sac de contrefaçon

je dois être un morceau de juif. 

Toujours je t’ai vénéré

avec ta Luftwaffe, ton charabia

et ta moustache si soignée

et tes yeux d’aryen, d’un bleu d’acier 

Panzer-man, panzer-man, O toi— 

Pas Dieu mais une croix gammée

si noire qu’aucun ciel ne pouvait glapir au travers

Chaque femme adore un fasciste,

la botte sur le visage, la brute

le cœur de brute comme une brute comme toi.

Tu es devant le tableau noir, papa

dans cette image que je garde de toi,

une crevasse au menton au lieu de ton pied

Mais pas besoin du diable pour cela, non pas moins

que cet homme noir qui

déchire en deux mon joli cœur rouge 

J’avais dix ans quand ils t’ont mis en terre.

À vingt ans j’ai tenté de mourir

et de revenir en ar rière, en arrière, en arrière vers toi.

je pensais que les os le permettraient enfin.

Mais ils m’ont chassé du sac

et ils m’ont coincé en moi-même avec de la glue.

Alors j’ai su que faire. 

J’ai fait un modèle de toi

un homme en noir avec l’apparence de Meinkampf 

Et l’amour de la torture et de la baise

et je me suis dit je le dois, je le dois

Ainsi papa, je suis enfin au-delà.

le téléphone noir est hors des racines,

les voix ne peuvent plus se faufiler au travers.

Si j’avais tué un homme, j’en aurai tué deux

Le vampire qui dit qu’il est toi

et buvait toute l’année mon sang.

Sept ans, si tu veux vraiment savoir.

Papa tu peux te recoucher maintenant

Il y a un pieu dans ton cœur noir et gras

et les gens du village ne t’ont jamais aimé

Ils dansent sur toi et te piétinent .

Toujours ils ont su que c’était toi.

Papa, papa, toi salaud

je suis passé au travers.



39,5 de fièvre : ( En originale )


Pure? What does it mean?

The tongues of hell

Are dull, dull as the triple

Tongues of dull, fat Cerberus

Who wheezes at the gate. Incapable

Of licking clean

The aguey tendon, the sin, the sin.

The tinder cries.

The indelible smell

Of a snuffed candle!

Love, love, the low smokes roll

From me like Isadora’s scarves, I’m in a fright

One scarf will catch and anchor in the wheel,

Such yellow sullen smokes

Make their own element. They will not rise,

But trundle round the globe

Choking the aged and the meek,

The weak

Hothouse baby in its crib,

The ghastly orchid

Hanging its hanging garden in the air,

Devilish leopard!

Radiation turned it white

And killed it in an hour.

Greasing the bodies of adulterers

Like Hiroshima ash and eating in.

The sin. The sin.

Darling, all night

I have been flickering, off, on, off, on.

The sheets grow heavy as a lecher’s kiss.

Three days. Three nights.

Lemon water, chicken

Water, water make me retch.

I am too pure for you or anyone.

Your body

Hurts me as the world hurts God. I am a lantern——

My head a moon

Of Japanese paper, my gold beaten skin

Infinitely delicate and infinitely expensive.

Does not my heat astound you! And my light!

All by myself I am a huge camellia

Glowing and coming and going, flush on flush.

I think I am going up,

I think I may rise——

The beads of hot metal fly, and I love, I

Am a pure acetylene

Virgin

Attended by roses,

By kisses, by cherubim,

By whatever these pink things mean!

Not you, nor him

Nor him, nor him

(My selves dissolving, old whore petticoats)——

To Paradise.



Les mannequins de Munich :


Perfection is terrible, it cannot have children.

Cold as snow breath, it tamps the womb

Where the yew trees blow like hydras,

The tree of life and the tree of life

Unloosing their moons, month after month, to no purpose.

The blood flood is the flood of love,

The absolute sacrifice.

It means: no more idols but me,

Me and you.

So, in their sulfur loveliness, in their smiles

These mannequins lean tonight

In Munich, morgue between Paris and Rome,

Naked and bald in their furs,

Orange lollies on silver sticks,

Intolerable, without mind.

The snow drops its pieces of darkness,

Nobody's about. In the hotels

Hands will be opening doors and setting

Down shoes for a polish of carbon

Into which broad toes will go tomorrow.

O the domesticity of these windows,

The baby lace, the green-leaved confectionery,

The thick Germans slumbering in their bottomless Stolz.

And the black phones on hooks

Glittering

Glittering and digesting

Voicelessness. The snow has no voice.



Voici enfin le dernier poème écrit par Sylvia Plath le 5 février 1963, quelques jours avant sa mort :


Voici parfaite la femme.

Mort,

Son corps arbore le sourire de l’accomplissement ;

L’illusion d’une nécessité grecque

Flotte parmi les volutes de sa toge ;

Ses pieds

Nus semblent dire :

Nous sommes arrivés jusqu’ici, c’est fini.

Chaque enfant mort lové, serpent blanc,

Un à chaque petit

Pichet de lait, vide dorénavant.

Elle les a repliés

Dans son corps comme des pétales

De rose se ferment quand le jardin

Se fige et que les odeurs saignent

Aux gorges douces et profondes de la fleur de nuit.

Rien ne saurait toucher ni attrister la lune

Qui regarde sans broncher depuis sa cagoule d’os.

Elle a l’habitude de ce genre de chose.

Et ses ténèbres craquent, et ses ténèbres durent.


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