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« Une aventure » Marina Tsvétaïeva ( 1918 )

Photo du rédacteur: TIMOCLEIATIMOCLEIA

En cinq tableaux et à partir du tome IV des Mémoires de Casanova, Marina Tsvétaïeva nous raconte « rien qu’une aventure », l’histoire d’amour de Giacomo Casanova, 23 ans au début de la pièce, 36 à la fin, et d’Henri-Henriette, glaçon de lune.

La lune entre d’abord un hussard chez Casanova.

« De combien d’Eves innocentes

A-t-il été le Serpent ! - Le Thésée

De combien d’Arianes ? »

Le hussard se présente comme son Leporello dans une sorte de réécriture de Don Giovanni. Casanova est intrigué.

« Vous n’êtes pas

Un voleur - vous êtes bien pire :

Un mari ! - Mains non, vous êtes trop beau

Pour un mari ! »

Le hussard, en clin d’œil au plus célèbre poème de Tsvétaïeva, s’explique.

« Je suis atteinte d’un mal bizarre :

Le mal - des choses d’insomnie. »

« Je suis plus insomnieux que la chouette,

Des choses d’insomnie je suis

Maître, tout autant que vous ! »

A priori donc, deux hommes discutant dans une chambre d’auberge à Cézène.

« Tout passe, tout s’en va... : quelle différence :

Un pari, un amour... Henri - ou Henriette ? »

Le hussard est indiqué comme s’appelant Henri dans les didascalies. Il rit.

« Ni l’un ni l’autre. Femmes et hussards

Se jetteraient dans la fournaise ardente »

Casanova comprend cette fluidité de genre.

« L’un dit lune où l’autre dit astre !

Henri aujourd’hui, demain - Henriette »

« Pour clore ce débat, voici :

La Signora, lasse de voir

Changer les modes féminines,

Jetant son bonnet aux orties,

A voulu se faire - Signor ! »

Mais d’un homme qui devient femme comme le pense Casanova, le capitaine dit que c’est une femme devenue homme.

« Que sa mère est morte avant l’âge

Ou bien que son berceau tanguait

Dans la tempête. - Le passé est ténèbres.

Douce comme un enfant, bonne, avisée et digne

D’être mise en vers par le vieil Horace ! -

Et là voilà qui s’habille en garçon,

Erre sur les balcons - on croirait la lune,

Ivre sans vin - sobre après boire

La voilà qui rimaille en l’honneur de Platon.

Puis, hop, en selle ! - où vas-tu ? - j’ai des ordres !

J’attends une heure, deux. Retour à tire-d’aile. »

Ce qui compte, c’est qu’Henri soit aussi Henriette, qu’Henriette soit aussi Henri. Qu’une même personne puisse boire, philosopher, faire la guerre, attributs masculins, et se laisser séduire par Casanova dans une auberge sous la lune avec sa belle robe couleur d’Aube et sa cape couleur de Temps.

« L’autre avance, et derrière : Henri,

Il flotte une odeur de cigare, mais une autre

Fumée s’insinue dans mon cœur, quand affûtant

Les flèches de ses cils, comme pr hasard, elle

M’effleure de sa cape... »

Outre l’identité de genre admirable d’Henri-Henriette, il y a aussi son orientation sexuelle. Henri-Henriette fait des duels ! Notamment contre

« Un favori de la cour de Pologne,

Pour les beaux yeux d’une Maréchale ! »

La patronne représente ici l’incompréhension voire le rejet.

« Avec ces yeux je ne vois certes

Point - une Signora, mais - tout

Le contraire... »

Henri s’explique.

« Pour créer le monde divin,

Dieu mît une semaine entière.

Une femme égale - cent mondes :

Comment devenir une femme -

D’un seul élan, en un seul jour ?

Hier - un hussard ( éperons et flamberge !),

Aujourd’hui - ange ( dentelle et satin ! ).

Demain - peut-être - mais peut-on savoir ?! »

Ce n’est ni Henri, ni Henriette, ni le hussard. C’est Henri-Henriette.

« Sous la lune immense

Nous jouons tous nos jeux à l’aveugle. »

Henri-Henriette est une personne très courtisée. Casanova, le duc, le bossu, le pédant ( adorable ruine ), les marionnettes espagnoles et françaises.

« Dans tes veines coule - la lune. »

Dans la dernière scène Henri-Henriette est omniprésent mais absent physiquement. Casanova est avec une autre fille, de 17 ans. Il crie à la fenêtre : « Mon Amour ! Mon garçon de lune ! »

Treize ans se sont écoulés depuis leur séparation. Et Casanova finira par définir Henri-Henriette comme Henri, comme lors de leur rencontre.

« Treize ans, Henri, dans quel enfer !

Ô ma moitié platonicienne !

Qui pleure ici ? - dans un rayon

De lune, tu vas t’en aller... »


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