En cinq tableaux et à partir du tome IV des Mémoires de Casanova, Marina Tsvétaïeva nous raconte « rien qu’une aventure », l’histoire d’amour de Giacomo Casanova, 23 ans au début de la pièce, 36 à la fin, et d’Henri-Henriette, glaçon de lune.
La lune entre d’abord un hussard chez Casanova.
« De combien d’Eves innocentes
A-t-il été le Serpent ! - Le Thésée
De combien d’Arianes ? »
Le hussard se présente comme son Leporello dans une sorte de réécriture de Don Giovanni. Casanova est intrigué.
« Vous n’êtes pas
Un voleur - vous êtes bien pire :
Un mari ! - Mains non, vous êtes trop beau
Pour un mari ! »
Le hussard, en clin d’œil au plus célèbre poème de Tsvétaïeva, s’explique.
« Je suis atteinte d’un mal bizarre :
Le mal - des choses d’insomnie. »
« Je suis plus insomnieux que la chouette,
Des choses d’insomnie je suis
Maître, tout autant que vous ! »
A priori donc, deux hommes discutant dans une chambre d’auberge à Cézène.
« Tout passe, tout s’en va... : quelle différence :
Un pari, un amour... Henri - ou Henriette ? »
Le hussard est indiqué comme s’appelant Henri dans les didascalies. Il rit.
« Ni l’un ni l’autre. Femmes et hussards
Se jetteraient dans la fournaise ardente »
Casanova comprend cette fluidité de genre.
« L’un dit lune où l’autre dit astre !
Henri aujourd’hui, demain - Henriette »
« Pour clore ce débat, voici :
La Signora, lasse de voir
Changer les modes féminines,
Jetant son bonnet aux orties,
A voulu se faire - Signor ! »
Mais d’un homme qui devient femme comme le pense Casanova, le capitaine dit que c’est une femme devenue homme.
« Que sa mère est morte avant l’âge
Ou bien que son berceau tanguait
Dans la tempête. - Le passé est ténèbres.
Douce comme un enfant, bonne, avisée et digne
D’être mise en vers par le vieil Horace ! -
Et là voilà qui s’habille en garçon,
Erre sur les balcons - on croirait la lune,
Ivre sans vin - sobre après boire
La voilà qui rimaille en l’honneur de Platon.
Puis, hop, en selle ! - où vas-tu ? - j’ai des ordres !
J’attends une heure, deux. Retour à tire-d’aile. »
Ce qui compte, c’est qu’Henri soit aussi Henriette, qu’Henriette soit aussi Henri. Qu’une même personne puisse boire, philosopher, faire la guerre, attributs masculins, et se laisser séduire par Casanova dans une auberge sous la lune avec sa belle robe couleur d’Aube et sa cape couleur de Temps.
« L’autre avance, et derrière : Henri,
Il flotte une odeur de cigare, mais une autre
Fumée s’insinue dans mon cœur, quand affûtant
Les flèches de ses cils, comme pr hasard, elle
M’effleure de sa cape... »
Outre l’identité de genre admirable d’Henri-Henriette, il y a aussi son orientation sexuelle. Henri-Henriette fait des duels ! Notamment contre
« Un favori de la cour de Pologne,
Pour les beaux yeux d’une Maréchale ! »
La patronne représente ici l’incompréhension voire le rejet.
« Avec ces yeux je ne vois certes
Point - une Signora, mais - tout
Le contraire... »
Henri s’explique.
« Pour créer le monde divin,
Dieu mît une semaine entière.
Une femme égale - cent mondes :
Comment devenir une femme -
D’un seul élan, en un seul jour ?
Hier - un hussard ( éperons et flamberge !),
Aujourd’hui - ange ( dentelle et satin ! ).
Demain - peut-être - mais peut-on savoir ?! »
Ce n’est ni Henri, ni Henriette, ni le hussard. C’est Henri-Henriette.
« Sous la lune immense
Nous jouons tous nos jeux à l’aveugle. »
Henri-Henriette est une personne très courtisée. Casanova, le duc, le bossu, le pédant ( adorable ruine ), les marionnettes espagnoles et françaises.
« Dans tes veines coule - la lune. »
Dans la dernière scène Henri-Henriette est omniprésent mais absent physiquement. Casanova est avec une autre fille, de 17 ans. Il crie à la fenêtre : « Mon Amour ! Mon garçon de lune ! »
Treize ans se sont écoulés depuis leur séparation. Et Casanova finira par définir Henri-Henriette comme Henri, comme lors de leur rencontre.
« Treize ans, Henri, dans quel enfer !
Ô ma moitié platonicienne !
Qui pleure ici ? - dans un rayon
De lune, tu vas t’en aller... »
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