On a encore vu, malheureusement, ce week-end à Paris, quelques centaines d'homophobes de trop, des réactionnaires de La Manif Pour Tous (notez bien le masculin de « tous »), et des personnes mal averties pourraient croire que tous ces connards souhaitent un retour au Moyen Age. Rien de plus faux ! Même si en effet des figures de l'extrême-misogynie telle Agnès Cerighelli peuvent véhiculer des inepties sur l'Eglise catholique, ne tombons pas dans son piège tout tissé d'ignorances, pour le coup crasseuses. Etant actuellement bloquée par Twitter je ne peux l'a citer fidèlement, et c'est tant mieux, mais elle soutenait – à tort – il y a quelques jours que cesser d'opprimer les personnes LGBTQI+ reviendrait à une trahison des « origines chrétiennes de La France », que ce serait trahir « les valeurs chrétiennes » etc vous connaissez le refrain on n'entend que ça.
Alors quelques mises au clair s'imposent. Bien sur, l'Eglise dans sa conception contemporaine est une structure d'oppression des femmes. On l'a toutes assez bien remarqué et vécu à nos dépens. Pas d'avortement, pas de contraception, pas de femmes prêtres, etc, etc. Mais, ces « valeurs chrétiennes » que constituent les attaques de la domination masculine (je rappelle ici le slogan de la Manif pour Tous : Liberté, Egalité, Paternité), aussi ignobles et abjectes soient-elles, sont aussi des constructions historiques et sociales.
Les femmes valent mieux que ça, les lesbiennes méritent cette liberté et égalité, nous valons toutes et tous mieux que ça, et le Moyen Age aussi.
Que sait-on vraiment, scientifiquement, de l'homosexualité au Moyen-Age ?
Tout d'abord, de l'homosexualité féminine, pas grand chose. Moins que pour les hommes en tout cas. Première inégalité. Le phallocentrisme permanent a conduit les autorités et les penseurs de ce temps à condamner les lesbiennes et les bisexuelles à une invisibilisation relative. On ne pense presque même pas le lesbiannisme, les femmes, ces démons, reviendraient toujours aux hommes. Et l'absence de sperme dilapidé minorerait peut-être la souillure.
On sait cependant que les femmes, surtout dans les milieux urbains, se mariaient relativement tardivement, ce qui nous amène au fait que les femmes seules en villes ne sont pas rares, elles sont nombreuses. Et l'abstinence massive ne fait pas l'histoire. Aussi, les relations sexuelles s'avèrent beaucoup moins risquées pour les femmes lorsque celles-ci ne s'inscrivent pas dans le cas de l'hétérosexualité et donc invariablement, au manquement à l'honneur (dans la mesure où nous en sommes encore à considérer les femmes hors du cadre du mariage). Le lesbiannisme au Moyen Age est sans nul doute un phénomène social, quoique beaucoup moins visible que l'homosexualité masculine.
Les médiévistes ont relevé une douzaine de cas de lesbiannismes (à Chartres, à Rottweill, à Spire, à Bruges) connus par la justice, ce qui nous prouve donc que les lesbiennes existent au Moyen-Age (puisqu'apparemment il est nécessaire de le rappeler). Mais, ces cas de lesbiannisme ne sont mentionnés que parce que d'autres délits y sont associés. Alors, une lesbienne qui n'enfreindrait aucune autre norme, serait-elle acceptable pour la société médiévale ? C'est une hypothèse. Surtout que nous avons gardé des lettres de rémission prouvant des liaisons entre épouses. Et que l'adultère, autre infraction à la norme sexuée, est toléré au Moyen Age tant que personne ne le sait. Idem pour l'homosexualité masculine. Cependant, nous n'avons pas les moyens d'y répondre avec certitude pour l'instant.
Cette difficulté à retrouver la réalité à partir de la documentation se retrouve aussi (mais de manière non égale) pour l'homosexualité masculine. En France, aux XIVe et XVe siècles, les accusés de sodomie condamnés à la peine capitale le sont toujours pour d'autres circonstances aggravantes : proxénétisme, tromperie sur la personne, violence. On imagine alors que les cas d'homosexualité avec consentement mutuel, complicité et intelligence sociale, ne sont pas condamnés à la peine de mort.
D'après Domenico da Prato (1410-1420), l'amour entre hommes est si répandu qu'il ne trouble personne. « Les hommes se détournent du mariage pour satisfaire leur immonde pratique ». Les auteurs italiens semblent en effet beaucoup plus alarmistes que les Français. Florence est appelée « mère de Sodomie » par Bernardin de Sienne, et aussi « coutume vénérable » en 1425. Mais après la grande inondation du Tibre latin en 1530, l'opinion commune estime que « le péché de Sodome et Gomorrhe qui règne dans cette ville de Rome et dans toute l'Italie » est responsable de la catastrophe naturelle, « au point que l'on s'étonne que tout n'ait pas péri ». La répression envers les homosexuels s'étant aggravée environ de 1430 à 1530, on comprend pourquoi l'homosexualité prend de la place dans l'espace mental des gens. Représsion et stigmatisation fonctionnent ensemble.
Mais ces perceptions et répressions de l'homosexualité sont toujours liées à la condition sociale des individus concernés, de leur place au monde. On ne reprochait pas au roi Richard Coeur de Lion ses mœurs, on lui reprochait de persévérer visiblement dans celles-ci même après que sa jeunesse soit passée. Les statuts épiscopaux de Courtrai confirment cette différence de perception en fonction de l'âge. La sodomie homosexuelle est jugée grave lorsqu'elle est pratiquée par des hommes de plus de vingt ans.
Pour le Siete partidas, le grand code de lois castillan du XIIIe siècle, les enfants de moins de 14 ans ne sont passibles d'aucune peine car on estime leur orientation sexuelle pas encore définie. Cette même conception de l'ordre se retrouve en Provence, en Italie, dans le reste de l'Espagne actuelle. Peut-être que cela s'illustre même par l'androgynie des anges, la beauté des pages et des bacheliers autant chantée par l'art gothique et la littérature, chevaleresque.
Arnaud de Verniolles, franciscain, souligne cette hypocrisie inégalitaire. « À l'époque où on brûlait les lépreux je demeurais à Toulouse. Un jour, je fis la chose avec une prostituée et, après la perpétration de ce péché, mon visage a commencé à enfler. J'ai bien cru alors, terrifié, que j'étais devenu lépreux ; du coup, j'ai juré qu'à l'avenir je ne coucherai plus avec une femme. Pour rester fidèle à ce serment, je me suis mis à abuser des jeunes garçons ».
Ce n'est pas tant l'âge en soi qui crée cette distinction que la pensée antagoniste du passif et de l'actif, renvoyant à une idéologie mysoginie beaucoup plus large. À Venise, l'application de la loi veut que le patiens (le passif), n'ait aucune pénalité ou alors une amende légère. En revanche, l'agens (l'actif), est exécuté. À Venise et à Florence au XVe siècle, un homme sodomisant un autre homme est davantage assimilé à un homme sodomisant une femme, qu'à un autre homosexuel. Le problème pour le Moyen-Age ce n'est pas tellement l'homosexualité, c'est la sodomie active. Héritage de Rome, la sodomie passive est tolérée pour les enfants jusqu'à dix-huit ans car cela les mets dans une position dite déshonorante, parce que féminine. Ce qui est à réprimée dans l'homosexualité, c'est de ne pas répondre strictement aux codes virils.
L'homosexualité est donc moins socialement déviante au Moyen-Age qu'aujourd'hui, mais à certaines conditions. Si vous aimez la sodomie et que vous êtes un homme, à partir de 18 ou 20 ans, il faut devenir « épéiste », sinon vous serez ridiculisés, moqués, voire exécutés.
L'homosexualité est aussi davantage acceptable pour le Moyen-Age lorsque celle-ci est une expérimentation occasionnelle, un hasard, une rencontre, un contact avec le fond du bas peuple.
Au XIV et XVe siècles, les Vénitiens accusent les Florentins, en tant qu'ennemis de la République et étrangers, d'avoir institués ces vastes cercles de sociabilité homosexuelle du moyen peuple et de la noblesse. Argument politique pour prétendre que le vice est dans l'ennemi à la République. À regarder les faits objectivement, l'homosexualité existe juste, partout, tout le temps.
De 1432 à 1502 à Florence, au plus fort de la répression, 16000 individus sont impliqués dans des cas de sodomie, et seulement 2400 sont condamnés à des amendes. Ce n'est donc pas une marginalité comportementale. A la fin du XV e siècle, un sixième de ces individus interrogés nous dit avoir vécu plusieurs années avec un même homme. Les hommes considérés comme passifs ont en moyenne six partenaires, les hommes considérés comme actifs, entre vingt et trente. Ces hommes existent. Nous existons.
L'état de l'opinion sur l'homosexualité au Moyen-Age est extrêmement variable en fonction des lieux où cette opinion est émise, et de la population concernée (riche, pauvre, homme, femme, etc). Même si les valeurs nauséabondes de LMPT peuvent faire écho à Grégoire XI en 1371 « dans le monde entier, il n'y a pas de péchés plus abominables que ceux qui prévalent chez les Florentins », jamais, jamais, jamais, ces valeurs chrétiennes n'ont eu d'application totale. Vos valeurs chrétiennes ne sont pas possibles.
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