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Photo du rédacteurTIMOCLEIA

Peindre le viol, c'est enlever le visage ( Gleyre, Degas, Magritte )

Pourquoi choisir un tel sujet en peinture ? Pour dénoncer le scandale, le crime, l'injustice, la déshumanisation ? Dans la première toile, Marc Gabriel Charles Gleyre nous met à la place du mari, spectateurs impuissants. Et si nous détournons la tête, et baissons le regard, alors nous voypns le vieil homme assis contre le ur, comptant les pièces du larcin, et adoptons sa posture. De ce tableau, Les Brigands romains de 1831, nous partageons la honte et l'humiliation de la victime, nous y assistons, nous sommes dans la scène. Mais ce n'est pas cela qui occupe le plus l'espace de la toile, la victime, la femme, n'est que toute petite, écrasée, à terre, repliée sur elle-même, en larmes, tandis que le chef des brigands et son mari sont debouts, fiers. Ce sont eux qui se battent, c'est là qu'est la tension du tableau, dans leur échange de regards rivaux. Le chef, le vainqueur, a les mains sur les hanches et la tête haute, avec ce qui semble être des jambes écartées. Le mari se débat, a les épaules voutées, le regard plus paniqué que serein. Celui qui se débat du viol ici n'est pas la victime, déjà détruite, elle n'a plus même de visage. La lumière du jour n'illumine que les deux comportements antagoniques aux témoins d'un viol : celui qui essaye de réagir et d'aider, ici le mari, et celui qui ne s'en occupe pas, ne regarde pas, fait semblant d'ignorer, ou carrément n'en a rien à foutre, le vieil homme qui compte les pièces, complice. Le viol, ici, est représenté dans ce qu'il porte de honte à un homme auquel un autre homme vient de prendre sa femme. La honte de la femme violée ne regarde qu'elle même et n'est pas visible aux autres, elle n'a plus de visage, son regard est enfermé dans ses ains ; la honte de la violée est une honte qui ne se voit pas. Dans la deuxième toile, Le Viol, d'Edgar Degas, peint entre 1868 et 1869, le viol y est plus allusif. Le titre original de cette œuvre est L'Intérieur, cependant les critiques l'ont transformé en un plus brutal Le Viol, ce qui lui a répugné. L'homme, très sombre, est appuyé contre la porte. Ce n'est plus un brigand, mais un homme honnête, sa classe est affichée par ses vêtements. Il a des petits yeux qui brillent comme le dos, la nuque, et la joue de sa victime, colorant leur lien. Il a les mains dans les poches, il a l'air tranquille du triomphe comme le chef des brigands. L'homme appuyé contre la porte, c'est aussi la condamnation de toute issue. De toute alternative. C'est là qu'est le viol : l'absence de consentement par l'impossbilité d'ouvrir la porte, ( comme dans Le Verrou de Fragonard ? ). La jeune femme, par sa posture vis-à-vis de la lumière, est aussi réduite à son corps. L'épaule débraillée. Dans la lumière en contre-jour, elle n'a plus de visage, elle n'est qu'un dos illuminé pour fixer notre attention au même endroit que celui du violeur. Entre le violeur et la violée, le lit, étonnament non-défait. Et la clé du tableau enfin : la cassette tapissée d'un capitonnage rosé, métaphore du sexe féminin. La cassette est ouverte, son intérieur a été profané. Et c'est la cassette qui fait la lumière sur la scène, comme l'objet donne son sens à la compréhension de l'ensemble du tableau. La femme est aussi repliée sur elle-même, sans visage, l'ombre surtout sur son regard a elle. Elle n'est plus qu'un corps, profané. Enfin, Le Viol de Magritte en 1945 n'est plus réel comme celui de Gleyre ou symbolique comme celui de Degas ; ici, le viol est surréaliste. Le viol par Magritte est le regard de l'homme sur le visage de la femme, le regard de l'homme qui ne voit pas le visage de la femme qu'il regarde, mais ne l'a perçoit que comme un corps, des seins à la place des yeux, un nombril à la place du nez, un sexe à la place d'une bouche ( ce que l'on pénètre sans consentement ). Le visage de la femme ici, c'est la promesse du corps à posséder, c'est ce visage qui n'en est plus un, qui n'est encore qu'un corps, c'est dans ce visage que se situe le viol. Coment rencontre-t-on autrui ? Lévinas parle de visage. L'expérience d'autrui a la forme du visage pour Levinas, comme ici pour Magritte. Le visage est ambivalent, et là où Lévinas y voit une invitation à tuer autant qu'une interdiction de tuer, Magritte peut y ajouter : invitation à violer et interdiction de violer. Les femmes violées, dans ces trois œuvres, n'ont jamais de visage. Elles ne sont même plus dénudées, offertes, exposées, sans défense. Parce qu'elles ne sont plus. Objectivées, décrites, elles ne peuvent plus avoir de relations avec autruie. Le visage violé c'est un visage auquel on accède plus, car accéder à un visage est toujours éthique. L'apparition du visage est un commandement moral, un ordre éthique. Ici il n'y a plus que des visages cachés, car il n'y a plus ni moralité ni éthique, là où il y a viol. La pauvreté désignée par le visage est une pauvreté pour lequel je dois tout et je peux tout. Mais quand il y a viol, nous ne pouvons plus. Sans visage, il n'y a plus de renvoi à la responsabilité totale, à la mienne. Sans visage, je ne dois plus répondre de tous les autres. Si la loi morale s'incarne dans la figure d'autrui, alors caché la figure d'autrui, c'est cacher la loi morale. Et sans visage de femmes, on sait ce qu'elles subissent : l'absence de loi morale pour elle. On les viole.


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