Pourquoi les femmes ont-elles été éloignées du bâtiment ecclésial, du sacerdoce ? Il y a tout d'abord bien sur des précédents antiques. Par exemple les prêtres romaines n'ont pas accàs à tous les lieux. On peut aussi ici penser au judaïsme comme fondement de l'exclusion des femmes. Notamment dans le livre du Lévithique. Le Moyen Age connaît aussi d'autres religions que le christiannisme, ainsi que d'autres courants que le dogme établi tels l'arianisme. Certains chrétiens du VI plaident par exemple l'accès aux femmes de tous les espaces religieux. Ces débats prennent définitivement fin avec les documents que nous allons voir maintenant ; c'est au VI e siècle que l'interdiction des femmes au sacerdoce devient définitive. Le premier document est une lettre de trois évêques à deux prêtres auxquels ils reprochent des pratiques itinérantes ( messes hors de l'Eglise ), et des femmes aidant aux messes. Ces trois évêques sont connus pour leur participation au concile de 311. Les deux destinataires de cette lettre sont des prêtres celtiques. Or, la Bretagne n'a pas toujours été celtique. Il y a certes déjà une présence importante dans l'Antiquité, mais celle-ci s'amenuise voire disparaît dans ses derniers siècles. Cependant au Ve siècle les Anglo-Saxons investissent la Grande-Bretagne causant par là la fuite des Bretons vers Cornouailles. La communauté celtique est donc de retour en Bretagne au Ve siècle. Et c'est à cette communauté d'immigrés auxquels appartiennent nos prêtres. Par l'expression de « compatriotes » les évêques désignent ici la spécificté culturelle des Bretons : ils ne séparent pas les femmes du sacré. C'est donc dans une sorte de choc culturel que la misogynie des chrétiens va s'imposer. Les évêques sont en effet tous issus du monde gallo-romain. Le deuxième document est le synode ou le concile d'Auxerre. Les conciles existent depuis le II e siècle mais sont distingués en deux niveaux. Les conciles oecuméniques, qui théoriquement représentent tout le monde chrétien ( il n'y en a qu'une vingtaine dans toute l'histoire ), qui n'abordent comme sujet que des dogmes, et qui sont les plus fondamentaux. Et ensuite les conciles diocésains, dont ici le concile d'Auxerre, à une échelle locale, plus détaillée. On y constate ke vécu du quotidien ainsi que les luttes contre des troyances plus ou moins tolérées par le christiannisme. Ce concile d'Auxerre en l'occurence est le premier concile « départemental » connu. Bien qu'on n'en connaisse pas la date exacte, il a lieu dans le dernier tiers du VI e siècle. Le canon ici retenu est l'interdiction de chorale mixte ou féminine ( mais pas d'interdiction des chorales masculines ). Le pape Grégoire, pape de 599 à 604, envoie son missionnaire Augustin dans les îles britanniques toujours païennes en 597. Augustin réussi notamment à convertir un roi. Pour cela, il doit expliquer le christiannisme aux Anglo-Saxons. On lui pose alors beaucoup de questions auxquelles il ne sait pas répondre. Alors il écrit au Pape, et ce dialogue devient une source d'inspiration et un modèle pour les siècles postérieurs. Grégoire est souvent très tolérant. Il dit toujours oui. Pape assez moderne, il a parfois quinze siècle d'avance sur les mentalités. Mais c'est le contexte missionnaire qui l'incite à la tolérance, parce qu'ils considèrent que les règles s'apprennent progressivement, une génération après l'autre. Augustin, lui, est beaucoup moins tolérant, beaucoup plus méfiant, et s'inquiète tout particulièrement des femmes. Il est ainsi beaucoup plus représentatif du VI e siècle. Les noms de femmes sont d'abord dits « effrayants ». Les femmes, ici appelées « femmelettes », sont d'abord exclues pour leur titre de « coshospitae » : ce terme est ici la seule occurrence connue de toute la littérature, cependant on devine son sens par l'étymologie. L'hospita est une hôtesse et le con est la mise en commun. Bien qu'au VI e siècle les prêtres aient encore le droit de se marier, les hommes et les femmes n'ont pas le droit de partager un même toit hors mariage. Les conhospitae sont perçues comme des femmes souples, assimilées à des prostituées, donc des femmes sales, vecteurs de souillure. Elles représentent des concubines à l'autel. Les femmes sont donc des séductrices dangereuses pour le bon déroulement du culte. On leur interdit le chant. Une chorale mixte pourrait devenir un lieu de drague potentiel, dans la sacristie ou ailleurs. Même dans une chorale féminine, on redoute encore un peu l'homosexualité féminine. De plus, le chant implique la voix et le corps entier, c'est un exercice physique. Le chant met en valeur le corps complet, et toute démonstration physique est suspecte. Cela pourrait détourner le fidèle du sermon du prêtre. Notons aussi qu'on ne considère alors pas le corps des hommes comme séduisant pour des femmes. L'Eglise et le sexe sont-ils incompatibles ? Difficilement compatibles, oui. Augustin interroge Grégoire sur le délai à respecter entre le sexe et la venue à l'église. On ne fait pas l'amour le samedi soir parce qu'il y a la messe le dimanche matin. La concentration est conçue comme altérée si il y a activité sexuelle récente. Il faut se préparer la veille, il faut prier avant de se rendre à la messe : il ne faut pas être excité. Idem pour les femmes enceintes. La présence d'une femme enceinte visiblement détournerait l'attention de la communauté chrétienne, il y aurait des potins, on se demanderait depuis quand elle est enceinte, de qui etc … ? Son corps et son ventre proéminent sont autant d'indications de l'acte sexuel, lequel détourne l'attention des fidèles. Les femmes sont aussi vectrices d'une liquidité inquiétante. Les femmes saignent mensuellement. En général. Et quand elles ne saignent pas à cause des règles, elles saignent pendant l'accouchement. C'est là où réside la principale différence de genre pour les Chrétiens. Ce détail biologique fonde presque toutes les injustices sociales. Les femmes sont donc vectrices de liquides dangereux pour les humains. Les femmes n(ont pas accès à l'église après leur accouchement. Mais elles ne doivent pas faire l'amour non plus deux mois après leur accouchement, parce qu'après l'accouchement les femmes saignent encore pendant plusieurs jours. C'est le sang qui est considéré comme le plus dangereux. Il ne peut pas entrer en contact avec d'autres liquides. Ce sang là ne doit pas entrer dans l'église, donc les femmes non plus. C'est une question de liquidités incompatibles. Cependant Grégoire prend ces distances avec le Lévithique. Il est ainsi le premier à inventer le sens figuré de la Bible. Pour la première fois de l'histoire, on assiste ici à une distance de l'intégrisme. Des liquides dangereux pour les humains certes, mais plus dangereux encore pour les fluides sacrés. Les fluides des femmes ne doivent pas avoir de contact avec les fluides liturgiques. D'où le problème du baptême. Grégoire dit qu'il faut baptiser tout de suite après la naissance. Pas trop tôt non plus rétorque Augustin. Même si le baptême se fait hors de l'église, dans le baptistère. Parce qu'on ne baigne pas le bébé dans les jours qui suivent sa naissance. Il y a une véritable méfiance du bain générale au VI e siècle. Le bébé peut encore porter des traces du placenta ou quoi. Tout comme il faut éviter la rencontre de la femme réglée et de celle de la messe. Parce que la messe est une consommation de vin sacré. Un bon chrétien boit le vin et mange le pain. Et le vin ici, est versé dans un vase collectif partagé par tous et toutes. Le vin étant de plus en plus sacralisé, il devient par là même de plus en plus incompatible avec le sang impur. Sang impur comme antinomique du sang sanctifié de Jésus. Le fossé se creuse donc. Et les règles deviennent de plus en plus discriminantes après le VI e siècle. On ne peut pourtant pas vérifier qui est réglée et qui ne l'est pas. Alors toutes les femmes sont exclues.Le premier texte parle de schisme comme de l'association de la femme et de l'autel. Le schisme est une différence radicale, une rupture irrémédiable. Ces textes soulignent d'autant plus l'audace d'Hildegarde de Bingen et le renversement intellectuel qu'elle représentera.
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